Je m'étais engagé à lire la brochure inspirée de l'opuscule de L Kohr : Une Bretagne libre est-elle viable?
vous trouverez en pièce jointe ma synthèse de ce document et son commentaire.
Salvator
Ici en extension la fiche de lecture de Salvator
UNE BRETAGNE LIBRE EST-ELLE VIABLE ? SYNTHESE ET COMMENTAIRE
INTRODUCTION
Le professeur Léopold Kohr a constaté que la cause fondamentale et la plus voyante de toutes les formes de malheur social, c'est le « Gigantisme » : Un pays trop grand, une population entassée, ou en perpétuel déplacement ressentent plus que les autres les effets du gigantisme.
La centralisation provoque l’apoplexie du centre et la paralysie des extrémités. La croissance de la population devient un fardeau social et entraîne une augmentation de la bureaucratie Le remède est l’éclatement de l’Etat super-développé en unités autonomes, faciles à gérer.
I LA BRETAGNE PEUT-ELLE SE DEBROUILLER TOUTE SEULE ?
Pourquoi un pays comme la Bretagne ne serait-elle pas économiquement viable quand d’autres comme la Suisse, le Luxembourg ou l’Islande le sont ?
Historiquement, l’abondance actuelle vient d’accumulations de capital réalisées par des communautés réduites (Florence, la Flandre), alors que les vastes Etats étaient à la traîne et ne devaient leurs richesses qu’aux conquêtes.
La Suisse dont les ressources naturelles sont réduites est le banquier du monde ; le Vatican exporte sa théologie. On peut élargir le concept de ressources naturelles aux paysages (dont la Suisse comme la Bretagne est pourvue) qui génère une forte manne touristique. Mais par-dessus tout, ce concept inclut le savoir-faire, l’ingéniosité à tirer parti de l’environnement et des situations. Le talent humain est la ressource la plus précieuse.
La Bretagne ne manque pas de ressources naturelles : son sous-sol, son sol, ses côtes, la mer sont très généreux.
II UNE ECONOMIE EXCENTREE
La faiblesse actuelle de la Bretagne est due à l’appauvrissement d’une économie excentrée au détriment du centre : activités, moyens et hommes sont intentionnellement détournés. Ce handicap ne peut être comblé par une politique centraliste et paternaliste mais en assurant le développement de toutes les régions possédant leur propre centre de gouvernement.
Porto-Rico, appelé « Port Riche » à sa découvertes, soi-disant dépourvu de ressources quand il était géré par l’Espagne est devenu le deuxième revenu par tête de l’Amérique Latine une fois autonome. C’est un exemple spectaculaire de développement que peut engendrer l’autonomie politique.
III LA FORCE DES PETITS
Le désavantage des dimensions réduites a toujours été compensé par la spécialisation et le commerce international car le talent naturel est réparti partout. Avec l’éducation, le talent naturel peut produire les biens nécessaires au mode de
vie moderne sans besoin de surface et de population vastes. Des témoignages montrent que l’innovation économique vient toujours des petites affaires, que les géants économiques récupèrent en les rachètent. 82% des entreprises suisses ont moins de 50 salariés.
IV UNE COMMUNAUTE EUROPENNE
Quand l’industrie exige de vastes marchés la solution est dans la négociation d’accords commerciaux, l’établissement d’unions économiques, ou l’adhésion à un marché commun (notamment avec l’ex-puissance centraliste).
Cette politique pourrait permettre à la Bretagne de profiter de tous les avantages de la vie moderne.
V TRAITE OU UNION ?
La France refusait-elle d'accepter la Bretagne comme partenaire d'un marché commun ? Ou l’accepterait-elle seulement si la Bretagne acceptait de renoncer à une partie de son indépendance ? Il serait certainement de l'intérêt de la France de maintenir des liens économiques avec une Bretagne séparée politiquement d’elle, ne serait-ce que pour garder la clientèle de cette presqu’île.
Quant à la question de savoir si l'association dans une communauté économique exigerait la renonciation à l'indépendance nationale, cela dépend du genre de contrat négocié entre les deux.
VI LA LOI DE L'ABANDON DES REGIONS EXCENTREES
La principale raison du retard économique de la Bretagne, étant son union économique à un partenaire à la force d'attraction trop supérieure, la Bretagne a-t- elle intérêt à vouloir un marché commun avec la France ? Pour Raul Prebish économiste d'Amérique Latine, dans les grands États, les régions proches de la capitale progressent, tandis que les régions éloignées régressent.
Dans un État breton jouissant de ses propres droits, les centres de décision ne seront plus à Paris mais à Rennes, Nantes ou Pontivy. Une Bretagne libre deviendrait co-artisan, co-auteur, co-responsable de son développement Troisièmement, les énergies détournées des secteurs productifs par le centralisme seraient mises à la disposition de l'économie bretonne qui a supporté le choc du sous-développement périphérique, boostant la production.
VII UN CADRE POUR LA PROSPERITE BRETONNE
En 1975, la question qui se pose à la Bretagne est : Comment se dépêtrer de la situation de son économie typiquement coloniale, caractérisée par ses exportations de produits non transformés et de main-d’œuvre émigrée, par ses industries et son système scolaire parachutés par sa dépendance des bureaux et des centres de décisions parisiens ?
La grande différence entre une économie englobée dans la France et une économie avec une France régionalisée réside dans le fait que la Bretagne aura non pas une économie à un seul horizon mais à trois :
– Un marché commun basé sur un traité (union douanière souple)
– Un système d'unions à objectifs limités (productions exigeant des
compétences extérieures))
– Une économie intérieure propre (le plus important)
Par-dessus toute autre considération, il s'agit de dessiner une Bretagne, nation et État indépendant, au service de l'épanouissement de l'homme.
L'introduction de ce système à trois horizons est le premier point assurant à la Bretagne le type de développement sans lequel l'indépendance politique ne saurait se maintenir.
Le second point concerne le choix du système privé ou public, capitaliste ou socialiste, sachant que tout système se trouve renforcé quand il admet une touche de système contraire (principe du vaccin).
Le troisième principe concerne le respect d'une petite échelle qui ramène tout à la portée de l'homme moyen.
Le quatrième principe est celui du juste milieu, notamment un machinisme modéré, qui n'implique pas de renoncer aux standards de vie désiré mais favorise le plein emploi.
Le cinquième est celui de l'indépendance d'un certain nombre de districts de développement à l'intérieur de la Bretagne.
Le sixième, le principe d'équilibre, est basé sur l'idée des Grecs : Tout est bon sauf en excès.
Le septième principe avec lequel le secteur interne de l'économie bretonne doit être construit est celui de l'autosuffisance.
VIII QUESTIONS PRATIQUES
La question du financement de ce développement économique se pose. Une première piste est donnée par l'exemple des communautés mennonites aux États- Unis, auto-suffisantes, indépendantes et parmi les plus prospères du monde. Elles sont célèbres pour leur l'agriculture, pour la fabrication d'outil, leurs terres d’une grande fertilité, leur bétail, la solidité de leurs maisons.
On considèrera aussi qu’un pays qui dispose de main-d’œuvre sans emploi, se trouve riche de réserve monétaires inutilisées, dormant dans une banque.
On se demandera quelles sont les conditions requises pour allécher les investisseurs.
On cherchera comment ramener les campagnes à la vie, établir les gens à la terre plutôt que dans des concentrations urbaines en favorisant l'équilibre entre existence rurale et urbaine par un mode de production raisonné. La restauration de la vie rurale exige qu'en parallèle renaisse une animation de qualité que la vie campagnarde a toujours fournie, en Bretagne plus qu'ailleurs.
IX LA SCIENCE A COURTE VIE
Le problème de savoir si la Bretagne peut vivre est bien, et principalement un problème économique. La plupart des experts dans le désert du Sinaï quand le peuple hébreu assoiffé leur demandait s'il y avait de l'eau, répondaient : « Non, pas d'eau ! » Jusqu'au moment où arriva Moïse qui d'un seul coup de bâton au rocher, sans rien d'autre que sa foi, fit jaillir de l'eau.
COMMENTAIRE
L’indépendance de la Bretagne, une question perpétuellement moderne
La question de l’indépendance de la Bretagne - et peut-être après elle d’autres provinces - est une question éminemment moderne. Non moderne dans le sens « tendance » mais dans celui où l’avenir de cette région mais aussi de la France entière pourrait y trouver une belle évolution.
L’autonomie ou l’indépendance de provinces ou de régions n’est pas un sujet nouveau. La Catalogne et le Brexit anglais l’ont réactualisé récemment mais le combat pour la libération des territoires annexés est perpétuel.
Chez nous, le pouvoir centraliste, jacobin depuis la Révolution mais en fait très ancien, nous a habitué à une France indivisible entre des frontières maritimes et des voisins de l’Est et du Nord-Est. Pourtant, certains n’ont pas oublié que cette superficie s’est conquise dans des flots de sang depuis très longtemps et que l’assimilation pour le pouvoir parisien depuis le Moyen-Âge signifie l’éradication ou le pillage des caractères et des richesses propres des individus comme des terres.
Oui, mais quelle libération ? De cette question cruciale dépend le bonheur du monde. Depuis des centaines voire des milliers d’années, des communautés ont cherché à se libérer des tutelles de pouvoirs qui les régissaient de loin. L’effondrement des empires sous les coups de boutoirs de peuples refusant toute tutelle est une donnée majeure de l’Histoire. La quête de l’autonomie alimente dès l’Antiquité l’espoir d’individus, de villes, de régions, de nations, que cette quête passe par le rachat de la liberté ou les armes.
Et pourtant plusieurs milliers d’années d’Histoire n’ont pas suffi à faire prendre conscience que de nombreuses fois, ces voies de libération ont alimenté des fleuves de sang, des jonchées de cadavres, débouchant si souvent sur un pouvoir encore plus avide de soumission de ses sujets, ou sur un gouvernement peu soucieux de la liberté de leurs peuples, occupé surtout à conserver ses prérogatives.
Des tentatives de communautés équilibrées, autonomes, ou coupées du monde ont aussi alimenté le désir d’utopie. Mais le XXIe siècle s’achemine vers une globalisation mondiale des décisions sans équivalent dans le passé. Rarement, en effet, les décisions économiques, politiques, culturelles, judiciaires ont été concentrées en si peu de mains. Quelques milliers de décideurs politiques, quelques dizaines de milliers de dirigeants économiques, influencent comme jamais, plus de sept milliards d’individus.
Comment aborder ce sujet ?
Les militants bretons à l’origine de l’opuscule : « Une Bretagne libre est-elle
viable ? » reproduisent l’angle économique que Léopold Kohr - qui a fait du retour des peuples à une taille humaine le combat de sa vie - avait décrit concernant la libération du Pays de Galles.
Pour ces militants bretons l’indépendance de la Bretagne est avant tout une question économique. C’est en créant une économie bretonne prospère avec des centres politiques de décision internes à la région, que la Bretagne pourra devenir indépendante.
Leurs arguments sont assez convaincants et semblent réalistes. Economiquement la Bretagne paraît avoir les atouts pour vivre de ses propres ressources sans tutelle
parisienne.
Mais une question n’est abordée que superficiellement : Comment pourrait se passer le processus menant à l’indépendance ? La puissance colonisatrice que représente la France verrait d’un très mauvais œil cette volonté séparatiste. N’a-t-elle pas figé dans sa constitution une France une et indivisible ? La question n’est donc pas d’abord économique. Tant que le volet politique n’est pas traité le côté économique reste théorique. On peut imaginer que les armées de la République n’hésiteraient pas à envahir une Bretagne sécessionniste car une telle démarche ferait peur aux partisans du centralisme. Peur que cette volonté d’indépendance fasse boulle de neige et que toutes les provinces possédant encore un esprit propre au-delà du folklore, se réveillent à leur tour (Pays basque, pays catalan, Corse...).
Il est possible que la petite plaquette « Une Bretagne libre est-elle viable ?» aborde surtout ce volet économique pour répondre à un scepticisme ambiant et que ses auteurs ne soient pas dupes sur les difficultés politiques découlant de cette démarche. En tout cas la brochure n’en parle pas. Il s’agit peut-être de convaincre un certain nombre de Bretons qui redouteraient dans ce processus une perte de niveau de vie.
Comment envisager la décolonisation ?
Finalement le projet que porte les auteurs reste assez classique et ressemble à un projet de décolonisation telle qu’on a pu en voir dans les années 1960. Un pouvoir politique breton serait-il plus attentif au bien-être de ses administrés ? L’alternance du pouvoir en cours dans les démocraties garantirait-elle un gouvernement breton supprimant l’injustice, la misère, les difficultés de vie, la pauvreté, la précarité ? Cette brochure n’aborde pas de telles questions et l’on peut penser que la politique classique prendrait tous ses droits dans une Bretagne libre, avec des riches bretons libres de faire des bretons pauvres, des partis libres de dominer idéologiquement leurs sujets, des polices et des armées libres de réprimer les récalcitrants.
On peut penser également que tant qu’un centralisme est fort, tant que les lois se décident à Paris sans discussions, toute tentative de faire sécession ou de provoquer un fédéralisme est vouée à l’échec. A moins de déclencher une lutte armée qui n’hésite pas à faire massacrer une partie de ce peuple qu’on veut libérer et dont l’issue est jouée d’avance.
La première tâche des libérateurs sera d’affaiblir le centralisme.
Comment peut-on travailler à la paralysie d’un pouvoir fort et centralisateur ? Il y a plusieurs combats :
La lutte politique : créer un parti assez puissant dans le pays centraliste pour promouvoir l’éclatement du centralisme en régions fédérées
Faire un travail souterrain de lobbying auprès des homes influents dans le pays centralisateur pour que le fédéralisme puisse être finalement promu et accepté par la population.
La lutte armée elle, renforce le pouvoir centralisateur ;
Provoquer une mobilisation de la population telle que les hommes au pouvoir aient peur des conséquences pour la conservation de leur autorité. (Décolonisation type Gandhi).
Ces luttes sont celles que pratiquent le monde mais la situation actuelle montre leur inefficacité. Certes, les décolonisations africaines, asiatiques et sud-américaines se sont opérées dans les années 1960 mais les problèmes auxquels sont confrontées
les populations : famines, violences, oppressions, génocides, etc., constituent des facteurs de déstabilisation mondiale aussi importants que ceux qui existaient à l’époque de la « guerre froide »
Que veut la Bretagne ? Devenir un pays comme un autre ? De quoi ont besoin les Bretons ? D’être gouverné par une gauche ou une droite bretonne qui reproduira les mêmes mensonges, duperies, coups de force et coups de pub pour s’accrocher au pouvoir ?
Cette voie de libération qui part d’intellectuels, d’hommes charismatiques ou d’ambitieux a fait son temps car elle n’a jamais abouti au bonheur et à la liberté, au partage de la prospérité et à la disparition de l’exploitation, à la justice et au respect du vivant.
Il faut emprunter d’autres chemins.
Une décolonisation spirituelle
Nouveau est le chemin qui évite les lignes droites politiques et économiques pour serpenter sur les terres de l’humain. Cela ne veut pas dire que la gestion des hommes ensemble (politique) et que les mécanismes de création et les flux de biens et de services (économie) ne sont pas importantes. Cela signifie qu’elles ne sont pas primordiales. Mais notre culture matérialiste les a propulsées en avant. Elle en a fait les seuls éléments de la réalité, reléguant sur un plan strictement intime ou qualifiant d’utopique des aspirations humaines très profondes tels que le bonheur, le partage, la joie de vivre ensemble, de créer, d’évoluer, de vivre dans une égalité aimante sans donneur de leçon ni de morale, sans faiseur de loi ou de pression, la foi dans les capacités humaines, dans les énergies de bien qui structurent l’univers, la foi en Une Vie universelle père et mère de l‘humanité.
La culture rationaliste a qualifié ces aspirations au mieux d‘utopique, ce qu’elle traduit par impossible faisant finalement du défaitisme sa raison. Cette défaite de l’esprit s’est ancrée dans l’histoire comme vérité inamovible.
Il faut rouvrir ces sentiers d’humanité ; défricher à nouveau les chemins envahis d’herbes folles (de quoi ?), de ronces, où la végétation humaine a poussé sans direction, sans idéal parce que les maîtres ont convaincu les peuples qu’il valait mieux emprunter les autoroutes idéologiques plutôt que se frayer un chemin dans le maquis des émotions, des sensations, des pensées...Réaliser une autre réalité que le tout matériel, le tout extérieur-à-l’homme, alors que la réalité prend d’abord racine en dedans de nous.
Une Bretagne, une province, une région libre serait d’abord un ensemble humain où chacun choisit avec qui il veut vivre et dans quel cadre. La vraie décolonisation consiste en l’adoption de construction de nations sur la base de l’affinité. Affinité, projet qui pourrait être régionaliste, linguistique - pourquoi pas - mais aussi projet basé sur une certaine vision de la collectivité, projet fondé sur une conception relation à l’environnement, projet basé sur une certaine foi, etc.
Est spirituel tout projet qui prend vraiment l’humain pour base, qui met l’homme au centre de la société, qui considère que la forêt des énergies que constitue un peuple est l’architecture de l’ensemble et que cette forêt est sacrée. Elle se respecte, s‘entretient, se vénère. Qui comprend qu’une société équilibrée ne peut naître que d’un peuple épanoui, peuple dont l’humain est la cellule, la base, l’élément
primordial.
Nous sommes là très loin d’une volonté d’indépendance basé sur une conception classique de la libération, impulsée par une minorité, une élite avide de faire fonctionner des hommes de manière régionale.